Moins d’un mois avant mes vacances d’été 2024, je voulais seulement atteindre le Yukon. J’ai répété à qui voulait l’entendre que si je pouvais juste atteindre le panneau de bienvenue, je serais heureuse. Une envie apparue suite à mon voyage solo dans les Rocheuses canadiennes l’année précédente. Une publication Facebook aimée d’une connaissance traitant de cette fameuse route piqua ma curiosité. Je rejoignis le groupe Dempster Highway Adventure Riders, consultai deux, trois publications pour apprendre où et en « quoi » consistait ladite route et… la décision était prise, j’allais essayer. Pour la petite histoire, la Dempster est le seul chemin au Canada qui nous permet de franchir le cercle polaire. Débutant au Yukon près de Dawson City et se terminant à Tuktoyaktuk, au bord de l’océan Arctique, dans les Territoires du Nord-Ouest.
Les préparatifs… quels préparatifs?
Un périple d’environ 900km non pavés rien que pour se rendre au bout. Mais d’abord quelque 6250km à parcourir pour m’y rendre. Et quelle moto ai-je donc pour envisager un si long voyage ? La meilleure, celle qui m’amène p-a-r-t-o-u-t depuis 5 ans, ma Ninja 650. Ma planification est quasi inexistante. Un coup d’œil à Google Maps pour avoir une idée de la distance aller-retour. Environ 14 000 km, 24 jours de congés devant moi ; faisable. J’avais fait semblable en 2023, j’envisageais faire plus. Rien de prévu pour les repas, j’arrêterai acheter de quoi grignoter quand j’aurai trop faim. Pour ce qui est de trouver où dormir, la décision se prend toujours peu avant que le soleil ne se couche, avec l’aide d’iOverlander. Pas de réservations, que du camping sauvage.
Le départ vers la Dempster Highway
Il me fallut 8 jours pour me rendre au Yukon. Je voulais atteindre Dawson Creek où débute l’Alaska Highway le plus rapidement possible. J’enchainais les kilomètres sans faire trop d’arrêts inutiles, 4526km pour les 4 premiers jours. Un mélange de chaleur étouffante, brouillard sinistre à la nuit tombée et orage explosif, à travers forêts et champs de canola. En temps normal, j’aurais franchi la frontière en cette 5ᵉ journée. Mais des alertes d’inondation m’ont retenue à Fort Nelson pour la nuit, et le matin j’apprenais qu’une partie de la route avait été emportée par les eaux. Le plus rapide aurait été d’attendre après les travaux pour la réouverture de la 97. Mais c’est impensable pour moi de ne pas rouler. Seule alternative : rebrousser chemin et me diriger plus à l’ouest pour remonter par la 37. 2678km pour 4 jours de perdus.
Sauf qu’est-ce vraiment du temps perdu quand on a aucune destination précise et que le but principal est de parcourir de nouvelles routes ? Ce fut un détour béni ; la vue sur les montagnes, le vert luxuriant marié au blanc immaculé des nuages qui s’accrochaient aux sommets, me firent oublier ce contretemps. Les montagnes cèdent soudain la place à la taïga, me rappelant la baie James avec ses forêts qui repoussent par endroit suite aux feux.
Enfin! Le Yukon!
J’atteins enfin le panneau de Bienvenue qui me faisait rêver. Yukon, plus grand que nature. Je ne vous dis pas le bonheur que j’ai ressenti en le voyant.
Ça y est, je suis enfin là ! Il est encore tôt, aux alentours de 7 h 30, j’en profite pour m’arrêter à Nugget City. On y trouve le restaurant Wolf It Down, prix un peu cher, mais j’ai bien mangé. Deux motocyclistes rentrent à l’intérieur se prendre un café. Les pauvres semblent frigorifiés alors que je pourrais me mettre en shorts. Costaricain et mexicain. À voir leurs motos surchargées, je me demande ce qu’on trouve à redire à ma petite montagne de bagages.
Ils n’ont pas fait la Dempster, mais la Top of the World (plus courte). Je leur raconte que j’ai l’intention d’y aller avec ma Ninja. Ils n’essaient pas de me convaincre que c’est une mauvaise idée, ce que j’apprécie, mais je vois dans leurs yeux qu’ils sont dubitatifs.
Je repars sur la route me trouver un endroit où dormir. Qu’est-ce qu’il fait beau ! Le soleil commence à peine à se coucher à l’horizon. C’est la « golden hour ». Je me retrouve surplombant une vallée où la route défile à travers bois jusqu’à rejoindre des montagnes au loin. J’apprécie le moment quelques minutes avant de continuer. Je dormirai cette nuit-là près d’un pont au bord d’une rivière.
Le doute s’installe…
Deux jours plus tard, j’arrivais à Dawson City, une ville magnifique de l’époque de la ruée vers l’or. Mais juste avant (40km plus tôt), je m’arrêtai devant la pancarte annonçant la direction de l’océan Arctique (Dempster Highway). Jusqu’à présent, les prévisions météorologiques n’étaient guère encourageantes pour les jours à venir. J’avais la soirée et toute la nuit pour prendre une décision si je tentais le coup.
Au réveil, j’étais encore tiraillée par l’idée d’être forcée de passer mon chemin. Oui, je pourrais revenir un jour, mais quand ? Peut-être jamais aussi. C’est le lendemain en milieu d’après-midi que je pris ma décision finale. J’allais le faire, je pouvais le faire. La météo avait changé, moins de précipitations prévues. J’avais toujours l’option de rebrousser chemin si cela s’avérait trop difficile. C’est la pensée que j’ai en permanence, peu importe où je me rends. Et je n’ai jamais regretté de tenter le coup.
Le plaisir de rouler sur la Dempster Highway!
La Dempster Highway ne fut pas l’exception à la règle. Quelle route fantastique à faire. Les défis que posent les différentes sections selon l’état de la route, la terre, le type de graviers utilisés, la fréquence de maintenance et bien sûr la météo qui peut tout changer sont d’autant plus gratifiants que la vue est formidable. Le parc Tombstone qu’on traverse au tout début vaut le détour à lui seul. J’avais l’impression d’avoir pris un portail vers un autre monde. Un peu de pluie au menu a rendu particulièrement glissant le sol, mais rien comme j’avais vu en vidéo où les roues des motos se bourraient de boue épaisse, rendant difficile le simple fait d’avancer.
La chance était de mon côté, il fit beau malgré les nombreux nuages les jours suivants. La pluie me précédant à quelques endroits. Pour la première nuit, je dormis au belvédère du cercle arctique, ravie de ne pas avoir abandonné. Ce que j’ignorais, c’est que le lendemain j’allais rencontrer quelqu’un qui changerait mon voyage. Il fait frais au deuxième jour sur la Dempster, j’enfile mon imperméable pour couper le vent. Et je poursuis ma route à travers ce que l’on surnomme la « Hurricane Valley ».
Les vents y sont terribles par moment, pire encore lorsque le sol y est mouillé. C’est quelque chose de se battre contre le vent alors qu’on roule sur une vraie patinoire.
Atteindre l’océan Arctique en bonne compagnie
Je fis ma rencontre inattendue lorsque je retournai à ma moto après avoir payé mon essence à Fort McPherson. Adan, un Texan, m’attendait près de sa Goldwing. Au lieu de m’étonner qu’une autre personne avec une moto de route (et des pneus inappropriés) se trouve ici, ma première pensée fut que j’étais dans les jambes et qu’il souhaitait mettre de l’essence également. J’ai toujours roulé seule, et je me demande encore la vraie raison d’avoir accepté l’invitation d’un inconnu à continuer le chemin jusqu’à Tuktoyaktuk. Une chose est certaine, j’ai eu énormément de plaisir à voyager avec Adan. Assez pour que je veuille continuer avec lui.
Les derniers 100km furent les plus laborieux, on roule dans du mou. La gravelle n’est pas très compacte, on jurerait rouler sur des billes géantes. Mais on y parvient. Personne n’est tombé et personne ne tombera. Nous sommes enfin à Tuk, fous de joie sur le bord de l’océan Arctique, panneau géant inclus.
Nous passerons la nuit là, où nous aurons la chance de déguster du caribou, du bœuf musqué, du poisson séché ainsi que du Muktuk (Béluga). Les gens d’ici sont extraordinairement accueillants. Je décide de continuer avec Adan, notre retour se fait principalement sous le soleil, la poussière est au rendez-vous. Nous rencontrerons plusieurs motocyclistes durant notre périple sur la Dempster. Certains à plus d’une reprise que nous reverrons même à Dawson City. Tous surpris de nous voir avec nos motos atypiques pour l’endroit.
Un voyage très enrichissant!
Ce fut une expérience folle. Jamais je n’aurais pensé voyager aussi loin à travers la taïga et la toundra avec ma petite Ninja. Tremper la roue de ma moto dans l’océan Arctique et manger de la baleine!
Et même voyager avec un pur inconnu rencontré sur le chemin. Je n’ai pas assez de mots pour décrire ce qu’est la Dempster. Se rendre là-bas, au bout du chemin, au bout du monde.
C’est un voyage dans un voyage. Un moment surréaliste qui se grave dans nos mémoires. L’une de ces choses qu’on doit inscrire sur notre « to-do list » à faire une fois dans sa vie. Surtout qu’en plus, c’est ici même au Canada que se trouve ce paradis sauvage. Une occasion de rencontrer des gens de partout sur la planète venus relever le défi et de se faire des amis pour la vie. J’ai tellement aimé ce que j’ai vécu, et vu, là-bas que je l’aurais refait immédiatement. Et j’y retournerai, toujours avec ma fidèle Ninja 650. Un an plus tard, j’en rêve encore.